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Le crowdfunding vu du côté solidaire

stevepb / Pixabay
Le crowdfunding (littéralement « financement par la foule ») a connu un essor impressionnant en 2013. Outil de financement participatif basé sur les technologies numériques, le crowdfunding se révèle être un puissant levier pour les structures de l’économie solidaire. Grâce à cette nouvelle tendance, en 2013 des projets ont émergé et d’autres ont évité de sombrer.

Le crowdfunding en quelques mots

L’idée n’est pas nouvelle : financer un projet par le don des particuliers, avec ou sans contrepartie, l’humanitaire le fait depuis longtemps. Oui mais voilà, depuis quelques années, l’usage d’internet est devenu une évidence pour tous ou presque, les réseaux sociaux sont désormais investis par toutes les générations pour le pire comme pour le meilleur et le paiement en ligne s’est également généralisé. La conjonction de ces facteurs ouvrait un boulevard au financement participatif dont les premières plateformes internet ont vu le jour en 2010 en France. Trois ans plus tard, plusieurs dizaines de sites ont investis la toile. Kisskissbankbank, Ulule, Octopousse sont les plus célèbres. Leur succès immédiat a inspiré de nombreux développeurs à tel point qu’il est difficile aujourd’hui d’en faire un état des lieux précis.

Leur fonctionnement est simple : les projets qui s’inscrivent proposent un objectif chiffré et disposent d’un espace pour se présenter et détailler des formules de dons avec contrepartie (d’un simple merci à la reconnaissance éternelle en passant par un produit, un badge, un abonnement…) et ce, pour une période déterminée. Charge ensuite aux porteurs de projet de communiquer le lien à leurs réseaux, en cherchant à l’élargir le plus possible. Il faudra régulièrement relancer des appels pour que le mouvement des premiers jours (c’est souvent au début que les dons augmentent significativement) ne s’essouffle pas trop vite.

Pour la plupart des plateformes, si l’objectif n’est pas atteint, l’opération est annulée, les dons retournent à l’envoyeur et le porteur de projet repart bredouille. En revanche, si l’objectif est atteint ou dépassé, la plateforme empoche entre 2 et 10% du montant global. Juteux marché pour un simple rôle d’intermédiaire. On comprend donc mieux pourquoi ces plateformes pullulent.

Rien n’empêche de se passer d’intermédiaire…

C’est pour éviter cette ponction souvent abusive que certains projets ont décidé de se passer d’intermédiaire, « pour éviter aussi comme ça se fait parfois, d’avoir à compléter la cagnotte de notre propre poche pour pouvoir récupérer les fonds  », explique Michel Gairaud, rédacteur en chef du Ravi.

A Marseille, le Ravi, mensuel satirique régional depuis 10 ans, terminera une campagne de financement participatif à la fin du mois (encore quelques jours pour donner ici !). L’objectif pour La Tchatche, l’association qui porte le Ravi, était de combler un besoin de 30 000 euros qui aurait pu la contraindre à mettre la clé sous la porte. En cause : des financements publics dérisoires, des aides à l’emploi qui s’arrêtent, une banque qui ne veut plus faire l’avance et un système de diffusion de la presse en cours d’implosion. Le journal, fort d’un large réseau dans la région, de lecteurs fidèles et engagés, de partenaires conscients a lancé son propre « Couscous Bangbang » directement sur son site avec paiement sécurisé en ligne. Relayé dans le journal, sur les réseaux sociaux et par tous les « copains » associatifs, l’appel a permis de réunir un peu plus de 28 000 € à ce jour.

…ou de chercher le moins gourmand

Même démarche pour l’Équitable Café à Marseille, qui lui aussi fêtait ses 10 ans récemment (à croire que le cap est dur à passer) et se retrouve dans une situation financière difficile. Pour l’Équitable, ce sont les emprunts au moment de l’installation dans le local actuel qui continuent de peser lourdement sur la structure et qui plombent chaque début d’exercice.

L’équipe salariée et les bénévoles ont donc opté pour un « hold up » via le Pot Commun, autre plateforme plus souple et dont les commissions sont moitié moins importantes que ses concurrentes. Réunir 25 000 euros en organisant des soirées de soutien semblait difficile. Mais la force de l’Équitable café, ce sont ses adhérents actuels et anciens. Tous ceux qui gardent une relation forte avec ce lieu bien qu’ils n’habitent plus Marseille et tous ceux qui le fréquentent toute l’année. C’est de ce constat qu’est née l’idée de tenter un financement participatif pour éponger cette dette. «  Si 5000 personnes donnaient 5 euros chacune, l’Equitable serait sauvé », explique Loïc, salarié de la structure. Et au regard des listes de diffusion et du nombre d’adhérents du café, l’idée était tout à fait crédible. Mais après plus d’un mois de diffusion, les sommes récoltées sont encore loin de répondre à l’objectif et l’équipe se demande s’il ne faut pas relancer l’appel.

Toute la difficulté d’une campagne de crowdfunding est là : jusqu’où insister, rappeler l’existence d’une collecte sans obliger les gens et créer ce sentiment désagréable de la charité forcée. C’est ce que l’équipe de l’Equitable a du mal à trancher, un peu gênée de devoir en remettre une couche. Quoi qu’il en soit, le réveillon du 31 décembre sera une nouvelle occasion et pour la clôture de la collecte, un « enterrement de pot commun » est envisagé le 31 janvier. En espérant que dans la tirelire, il y ait de quoi effacer la dette.

Le crowdfunding, levier d’émergence

Mais le financement participatif, s’il permet de se sortir de situations temporaires délicates, est avant tout un formidable levier pour les projets émergents. C’est d’ailleurs dans la création artistique que les premières plateformes ont vu le jour. Préproduire un album, un film, une BD sans être totalement dépendant de producteurs trop frileux ou désireux de créations formatées, voilà le terreau de départ du crowdfunding. Progressivement, les projets solidaires se sont appropriés l’outil, eux aussi, souvent soumis à la frilosité et la lenteur des partenaires publics et des banques.

A Aix-en-Provence, où les subventions municipales sont loin de pleuvoir sur les projets solidaires, le 3C (café culturel citoyen) qui a ouvert ses portes en juin 2013 avait fait preuve de créativité pour financer ses débuts d’activité sans obtenir le moindre euro des collectivités (nous en parlions en juin dernier, c’est ici). Parmi les leviers, le crowdfunding a permis de réunir 6000 euros en quelques semaines. Une somme très utile pour démarrer les travaux dans le local et constituer le matériel nécessaire de départ. Le café vient d’accueillir son 2000è adhérent après six mois d’existence. Succès immédiat.

Une démarche similaire a été lancée par l’association Pays’en Ville qui s’apprête à ouvrir la première épicerie paysanne et solidaire d’Aix-en-Provence en mars prochain. C’est l’absence de subventions en 2013 qui a poussé l’équipe à se lancer dans une démarche de crowdfunding.

« Si on avait obtenu des subventions, nous ne l’aurions pas fait  » explique Nadège, présidente de l’association Pays’en Ville qui porte le projet de « L’épicerie du coing ».

Depuis le 7 novembre, l’association récolte donc des fonds sur la plateforme cowfunding (http://www.cowfunding.fr/epicerie-paysanne-et-solidaire/), «  la seule plateforme qui autorise les porteurs de projet à récupérer les sommes récoltées si l’objectif n’est pas atteint  » précise Nadège. Cowfunding.fr, si elle propose effectivement cette possibilité, se permet en revanche d’augmenter sa commission de 5 à 9% pour les projets qui n’atteignent pas les sommes envisagées au départ.

Toujours est-il que Pays’en Ville s’est donné jusqu’au 20 décembre pour réunir 13000 euros. « On s’arrête juste avant Noël, après les gens n’ont plus de sous ! On s’est fixé un objectif assez haut. On en est actuellement à la moitié mais on compte sur la dernière semaine pour y arriver  » explique Nadège.

Si une campagne de crowdfunding semble une solution simple et rapide, elle demande en fait beaucoup d’implication pour être réussie. L’équipe de l’Épicerie du coing a profité de l’occasion pour mener une double communication autour du projet et de l’appel à participation. Par exemple, à l’occasion de la signature du bail, elle invite tous les curieux à une visite du futur local de l’épicerie et en profitera pour lancer un dernier appel et mobiliser toujours plus largement.

De l’aveu même de Nadège, «  il faut s’activer pour y arriver !  ».

On aura donc compris qu’il n’est pas évident de s’y retrouver dans la jungle du financement participatif. Outil qui s’inscrit dans ce que les médias adorent nommer aujourd’hui l’économie collaborative, il offre de nouvelles solutions rapides et ponctuelles aux projets en émergence autant qu’aux structures en difficulté. Mobilisation des réseaux, réciprocité, il partage certaines valeurs de l’économie solidaire. Pour autant, le crowdfunding ne peut être érigé en modèle pérenne de financement pour les associations et n’excuse en rien le désengagement de l’Etat et des collectivités territoriales sur ce terrain qui tendent aujourd’hui à se justifier à travers ces exemples.

Comme souvent, un outil n’a pas de valeur intrinsèque, il est ce qu’on en fait. A nous de le rendre utile et juste.

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